Catherine Jeandel

Catherine Jeandel est océanologue, directrice de recherche émérite au CNRS. Jusqu’à récemment, elle dirigeait l’Observatoire Midi-Pyrénées qui regroupe 9 laboratoires dont le Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), au sein duquel elle étudie la géochimie marine pour comprendre les changements liés à l’activité humaine. Dans le cadre du programme de formation des cadres de l’État à la transition écologique, la chercheuse s’implique dans la coordination de l’organisation des conférences et des visites de sites en Occitanie.

Pourquoi participez-vous à ce programme ?

Catherine Jeandel : Pour deux raisons. La première est que les cadres de l’État, comme ceux des territoires d’ailleurs, constituent un « socle de compétences » qu’il est vital de sensibiliser à la transition écologique. Car peu d’entre eux ont suivi des études scientifiques ou été formés aux questions environnementales. Or, même si leur hiérarchie évolue, eux demeurent stables dans leurs différents services.

La seconde raison est due à l’urgence écologique : elle n’est pas encore comprise des décideurs. Or nous devons remettre la science au cœur des décisions. Pour qu’elle le soit, il faut précisément que ce socle, ces personnes qui sont en soutien des décisions, aient bien intégré cette urgence. Il est donc essentiel de rétablir le dialogue entre la communauté scientifique du ministère de la recherche et les fonctionnaires du ministère de la transformation et de la fonction publiques.

Diriez-vous que cette conviction de l’urgence est fondée sur les connaissances scientifiques ?

Absolument ! Nous sommes très attentifs lors des conférences-débats à présenter uniquement des faits scientifiques, des données et résultats issus d’observations, d’analyses et de modèles. Nous nous appuyons la plupart du temps sur les travaux du GIEC ou de la Fondation pour la Recherche sur la biodiversité (FRB) pour proposer un état des lieux et montrer les projections futures si on ne modifie pas nos comportements sociétaux.

Quel est alors le rôle du chercheur ?

Lorsque je présente la montée du niveau de la mer, qui a augmenté de 17 cm au cours du siècle dernier, c’est une mesure avérée. De même que la montée actuelle de 3,6 millimètres par an. Mais je parle aussi d’incertitude. Par exemple, le niveau moyen de l’océan augmentera de façon quasi certaine de 40 cm de plus à la fin du siècle. Cependant, cette augmentation pourrait être plus forte, jusqu’à 1,50 mètres selon comment se comporte la fonte des glaces côtières de l’Antarctique, que l’on ne quantifie pas bien aujourd’hui. Ces simulations sont mondiales : on est très impliqués à Toulouse, mais le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) ou la NASA aussi. Le chercheur peut porter des convictions, mais il doit se préoccuper de la façon dont il partage ces connaissances avec la sphère publique.

La formation privilégie une approche systémique, pourquoi ?

Nous faisons en effet intervenir systématiquement un tandem de chercheurs, l’un en sciences non humaines l’autre en sciences humaines et sociales, du moins en Occitanie. Je considère que nous étudions depuis trop longtemps le système physico-chimique biologique de la planète en s’affranchissant du paramètre humain. Nous souhaitons amener à la fois les intervenants et les personnes formées à l’interdisciplinarité.

Parlez-vous de leviers d’action ?

Bien sûr. Systématiquement. Nous ne laissons jamais les cadres nous quitter sans avoir discuté avec eux des pistes, des solutions, des leviers qu’ils peuvent développer.

Vous avez déjà animé des conférences-débats, quelle est la réaction des personnes formées ?

Certains cadres pourraient imaginer que cela va être long, mais de fait la grande majorité se montre très intéressée !

Je pense en particulier à notre expérience avec ma collègue Julia Hidalgo à la Préfecture de la région Occitanie où nous avions dans le public le préfet de Région, le secrétaire général pour les affaires régionales, la Rectrice, le recteur délégué et 10 préfets de départements d’Occitanie. Plusieurs sont restés après les conférences-débats pour discuter avec nous. Quelques-uns ont posé des questions directement liées à leurs problématiques, par exemple le préfet de l’Hérault, qui cumule les questions d’ilots de chaleur urbain, de sécheresse, d’incendies, d’inondations brutales, de montée du niveau de la mer sur la côte… Il nous a même invitées à l’aider non seulement à nouer le dialogue avec les maires de ses collectivités mais surtout à convaincre les sphères de l’État de l’urgence dans laquelle il se trouve !

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui n’ont pas encore suivi les conférences débats ?

De venir ! Ce ne sont que quelques heures au cours desquelles nous apportons des données scientifiques, nous les sensibilisons à l’urgence et aux impacts écologiques, et nous échangeons avec eux sur les solutions. A minima, ils peuvent réfléchir en amont aux questions qu’ils vont nous poser. Toute question est la bienvenue !