Luc Abbadie
Luc Abbadie* est Professeur Émerite d’écologie à Sorbonne Université. Investi depuis toujours dans la recherche et la transmission des connaissances sur les questions environnementales, Luc Abbadie est actuellement co-président, avec Laurence Tubiana, du groupe d’appui et d’expertise scientifique du programme de formation à la transition écologique des cadres publics mis en place par le ministère de la transformation et de la fonction publique.
Pourquoi vous êtes-vous investi personnellement dans cette mission ?
C’est assez simple : je fais partie des personnes très inquiètes de l’évolution de notre environnement. Les données scientifiques, notamment sur le climat et sur la biodiversité, sont très claires : on est en train de dégrader notre planète à toute vitesse ! Pour moi la viabilité, au sens de l‘habitabilité de la planète est gravement remise en cause. Et comme elle est due à notre mode de consommation, il est urgent de procéder à des changements profonds de nos organisations sociales. Nous sommes donc face à une véritable révolution dans laquelle il faut embarquer tous ceux qui souhaitent en devenir acteurs. Et la formation à la transition écologique des agents publics en fait partie.
En quoi la formation à la transition écologique fait – elle sens pour vous ?
Le groupe d’appui a fait le constat que la plupart des formations des décideurs publics n’abordent pas ou peu les questions environnementales. Et même si beaucoup de décideurs manifestent un intérêt pour ces sujets, ils ne possèdent en général pas le socle de connaissances qui leur permet de réaliser l’ampleur du défi qui est devant nous. Donc la finalité de ce programme est de donner un cadre pour agir, fondé sur une objectivation de la situation que seule la science nous permet de réaliser, en identifiant les causes du changement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, et de la surexploitation des ressources naturelles.
Quel est l’enjeu pour les cadres publics qui participent aux conférences-débats ?
C’est de s’approprier les connaissances clés pour pouvoir agir collectivement et individuellement. Mais attention les scientifiques ne prétendent pas délivrer la bonne parole sur les actions à mener. Nous ne sommes d’ailleurs pas forcément compétents pour le faire. Cela relève justement de la compétence des agents de l’État. Notre rôle consiste à délivrer des messages clairs sur la situation écologique et proposer les trajectoires qu’il faudrait suivre.
Faut-il avoir des pré-requis pour y participer ?
Parfois le vocabulaire peut manquer, mais les conférences-débats demeurent accessibles à tout le monde. Il s’agit pour les participants de comprendre les grandes logiques des trois crises écologiques. Par exemple, nous disons que l’apparition des espèces est un phénomène extrêmement lent. Donc leur vitesse de disparition actuelle est quelque chose de complètement alarmant. Pour moi, c’est essentiel d’être au clair sur ces grandes logiques et sur les ordres de grandeur. Parce qu’une fois qu’on les a en tête, on peut déclencher des modes d’action pertinents.
Comment se déroulent-elles ?
En deux temps. Le premier constate les tendances. Au risque d’inquiéter les participants, nous partageons des indicateurs catastrophiques. Nous ne cherchons pas à l’éviter : il faut être lucide face à cette situation difficile, a fortiori lorsqu’on est agents dans les services publics, au sens où leur mission est de défendre le bien commun. Le second balaie des pistes de solutions. Car dans 99% des cas nous savons ce qu’il faut faire, les solutions sont disponibles.
Vous parlez donc de solutions concrètes ?
Oui, nous connaissons les outils, même si certains réclament encore une mise au point. Nous savons comment les associer pour résoudre la crise climatique ou réduire son impact sur la biodiversité. Nous parlons des différents scénarios possibles pour parvenir à un retour à la viabilité de la planète. Mais ces scénarios, climatiques, énergétiques, ou agricoles, —dépendent d’autres choix qui sont eux d’ordre économique ou éthique ! C’est précisément pour cette raison que les conférences-débats sont animées aussi souvent que possible par un binôme de scientifiques, l’un en sciences de la nature et l’autre en sciences de l’homme et de la société. Les participants apprécient beaucoup de mettre en parallèle les aspects techniques et matériels des scénarios avec des considérations qui relèvent finalement des valeurs qui structurent nos sociétés.
Il n’y aura pas de changement de la situation environnementale s’il n’y a pas de changement sur nos priorités, sur nos représentations.
*Les travaux de Luc Abbadie portent sur les interactions entre biodiversité, cycles biogéochimiques et fonctionnement des écosystèmes, sur l’ingénierie écologique et l’écologie urbaine.
Luc Abbadie est également vice-président du Conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité (OFB) ; il a été Président du Conseil scientifique du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et du Conseil scientifique de l’Institut écologie et environnement (CNRS-INEE) ; Il est aussi Président de l’association Nature & Société.
En savoir plus :
Sites de référence :
- Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement de Paris – IEES Paris Institut de la Transition
- Fondation pour la Biodiversité
- https://www.inee.cnrs.fr/fr
- https://ite.sorbonne-universite.fr/
- https://www.nature-et-societe.org/
Articles grand public :
- https://www.lesechos.fr/thema/articles/on-ne-construira-pas-la-transition-ecologique-sans-les-entreprises-1887498
- https://www.strategies.fr/actualites/marques/LQ2221576C/luc-abbadie-office-francais-de-la-biodiversite-nous-entrons-dans-un-monde-effrayant.html
- https://annales.org/re/2021/re101/2021-01-05.pdf
- https://www.annales.org/re/2020/re100/2020-10-09.pdf
Ouvrages :
- Abbadie L., Couvet D. & Bourg D. 2023. Etat des lieux du vivant. Quelles évolutions de la vie sur Terre ? La biodiversité, histoire et enjeux. 3 CD. Paris, Presses Universitaires de France, Forêts et Campagnes d’Avenir, Frémeaux & Associés.
- Jouzel J., Abbadie L. et al. 2022. Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur. Paris, Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 90 pp.
- Tirard C., Abbadie L. & Loeuille N. 2021. Introduction à l’Ecologie. Dunod, Paris, 275 pp.
- Jouzel J., Abbadie L. et al. 2020. Rapport du groupe de Travail « Enseigner la Transition Ecologique dans le Supérieur ». Paris, Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 15 pp. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2021-10/rapport-du-groupe-de-travail-enseigner-la-transition-cologique-dans-le-sup-rieur–13843.pdf